Je me souviens de ce matin de février, devant le miroir de ma salle de bain. Le reflet me renvoyait une image que je ne reconnaissais plus, ou plutôt que je refusais de reconnaître. Mes doigts pinçaient la peau de mon ventre avec une familiarité désolante, comme si cette routine matinale de critique faisait partie intégrante de mon hygiène personnelle. Ce jour-là, quelque chose a craqué. Pas dans le sens dramatique du terme, mais plutôt comme une évidence tranquille qui s’imposait après des années de lutte silencieuse contre moi-même. Le body positive n’était pas encore ce mouvement dont tout le monde parle aujourd’hui en 2025, mais plutôt une intuition fragile que mon corps méritait mieux que cette guerre intestine.
Les racines invisibles de notre mal-être corporel
Personne ne naît en haïssant son corps. Observez les enfants : ils courent, tombent, se relèvent sans jamais remettre en question l’enveloppe qui les porte. Puis arrive cet âge trouble où le regard des autres commence à compter plus que le nôtre. Pour moi, ce fut à l’adolescence, avec ces remarques apparemment anodines qui s’accumulent comme des gouttes d’eau finissant par creuser la pierre. « Tu as pris un peu de poids, non ? » lançait ma tante lors des repas familiaux. « Ce jeans te serre un peu sur les cuisses » glissait une amie en voulant bien faire. Chaque commentaire, chaque silence éloquent devenait une pièce supplémentaire à cette prison mentale que je construisais sans m’en rendre compte.
Les années 2020 ont amplifié ce phénomène avec l’explosion des réseaux sociaux. Nous nous comparions non plus à nos voisins ou aux magazines, mais à des milliers de corps retouchés, filtrés, mis en scène. Une étude de 2023 montrait que les femmes passaient en moyenne 47 minutes par jour à scruter des images de corps « parfaits », créant un écart de plus en plus douloureux avec leur propre réalité. Pourtant, ce qui m’a frappée en creusant le sujet, c’est que cette insatisfaction corporelle traverse toutes les morphologies. Même celles qui correspondent aux canons de beauté actuels développent souvent une relation conflictuelle avec leur image.

Le piège des régimes yo-yo et de l’auto-sabotage
Pendant des années, j’ai cru que la solution résidait dans le contrôle. Contrôle alimentaire, contrôle sportif, contrôle de chaque centimètre de mon corps. Lundi : régime sans glucides. Mardi : deux heures de sport intensif. Mercredi : craquage et culpabilité. Jeudi : restriction punitive. Ce cycle infernal m’a conduite droit dans les bras de troubles alimentaires que je cachais soigneusement derrière des sourires et des « je fais juste attention ».
Le pire dans tout ça ? Plus je cherchais à contrôler, moins j’avais de contrôle réel. Mon corps devenait cet ennemi capricieux qu’il fallait mater, dompter, punir. J’en arrivais à des absurdités comme peser chaque aliment ou refuser des invitations au restaurant de peur de « perdre le contrôle ». Cette obsession m’éloignait de l’essentiel : vivre. Vivre simplement, sans cette comptabilité mentale épuisante.
Le déclic : quand la bienveillance remplace la critique
Le tournant est venu d’une manière inattendue : en observant ma meilleure amie avec son nouveau-né. Je la regardais caresser les petites cuisses potelées de son bébé avec une tendresse infinie, sans un gramme de jugement. Elle ne se demandait pas si ces cuisses étaient trop grosses ou trop petites, si elles correspondaient à un standard. Elle les aimait, simplement, parce qu’elles étaient celles de son enfant. Cette scène banale m’a frappée comme une évidence : et si j’apprenais à regarder mon corps avec cette même bienveillance inconditionnelle ?
J’ai commencé par de petites actions concrètes. D’abord, j’ai arrêté de me peser chaque matin. Ce chiffre sur la balance dictait mon humeur de la journée, comme si ma valeur tenait dans trois digits. Ensuite, j’ai trié mes réseaux sociaux en supprimant les comptes qui me faisaient me sentir mal et en suivant des profils inspirants comme ceux de Dove et leur campagne pour l’estime de corps, ou Aerie et leurs mannequins non retouchés. Cette simple curation digitale a changé mon paysage mental.
Avant | Après |
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Critique systématique devant le miroir | Observation neutre ou bienveillante |
Comparaison aux corps « parfaits » | Célébration de la diversité corporelle |
Vêtements camouflages | Pièces qui me font plaisir |
Régimes restrictifs | Alimentation intuitive |
La révolution des marques inclusives
2025 marque un véritable tournant dans l’industrie de la mode. Alors qu’il y a encore cinq ans, trouver des vêtements pour des morphologies hors standard relevait du parcours du combattant, aujourd’hui des marques comme Etam, La Redoute ou H&M proposent des gammes étendues et des campagnes mettant en valeur des corps divers. Même les lingeries s’y mettent : Savage X Fenty de Rihanna et Curvy Kate révolutionnent notre façon de voir la sensualité au-delà des tailles standard.
Le sportswear n’est pas en reste. Nike et Adidas développent désormais des collections techniques adaptées à toutes les morphologies, tandis qu’Oysho propose des tenues de sport où le confort prime sur l’esthétique restrictive. Cette évolution n’est pas anecdotique : elle participe à normaliser la diversité des corps dans l’espace public.
Pratiques concrètes pour faire la paix avec son reflet
La théorie, c’est bien beau, mais comment ça se passe au quotidien ? Pour moi, le changement s’est opéré grâce à des rituels simples mais puissants. Le premier : la méditation devant le miroir. Chaque matin, je prenais deux minutes pour regarder mon reflet sans jugement, en nommant mentalement une chose que j’appréciais. Au début, c’était difficile (« J’aime la couleur de mes yeux » était à peu près tout ce que je trouvais). Puis petit à petit, la liste s’est allongée : « J’aime la façon dont mes hanches portent cette robe », « J’aime la douceur de ma peau ».
Le deuxième rituel a été de remplacer le sport punitif par une activité qui me procure du plaisir. Finis les cours de fitness où je comptais les calories brûlées. Place à la danse dans mon salon, aux balades en forêt, au yoga débutant où j’apprenais à écouter mon corps plutôt qu’à le contraindre. Cette reconnexion au plaisir a été une révélation : mon corps n’était pas un problème à résoudre, mais un partenaire à apprivoiser.
- Journal de gratitude corporelle : noter chaque soir trois choses que mon corps a fait pour moi dans la journée
- Élimination des déclencheurs : tri radical des réseaux sociaux et des magazines
- Photothérapie : se faire photographier régulièrement pour apprivoiser son image
- Communauté : rejoindre des groupes de parole sur l’acceptation corporelle
L’alimentation intuitive comme acte politique
Abandonner les régimes a probablement été l’étape la plus libératrice. J’ai découvert l’alimentation intuitive, cette approche qui consiste à faire confiance à son corps pour savoir quoi manger, en quelle quantité, et quand s’arrêter. Contrairement à ce que je craignais, je n’ai pas grossi. Au contraire, mon poids s’est stabilisé naturellement, sans effort. En écoutant mes faims et mes satiétés, je me suis rendu compte que mon corps savait parfaitement ce dont il avait besoin.
Cette approche va à l’encontre de tout ce qu’on nous apprend depuis l’enfance : fini le « mange tes légumes d’abord », le « un dessert ça se mérite », le « attention au sucre ». Ces injonctions, bien souvent déguisées en conseils santé, créent une relation malsaine avec la nourriture. Aujourd’hui, je mange parfois une salade parce que mon corps la réclame, et parfois un gâteau au chocolat parce que mon âme en a besoin. Et les deux se valent.
Le body positive est-il accessible à tous ?
Dans mon parcours, j’ai souvent entendu : « C’est facile à dire quand on correspond à certains standards ». Et c’est vrai. Le mouvement body positive, parfois accusé d’exclusion, doit constamment se remettre en question pour être véritablement inclusif. Les personnes en situation de handicap, les corps très éloignés des normes, les hommes souvent oubliés de ce débat – tous méritent leur place dans cette conversation.
Les hommes, justement. On parle peu de leur souffrance face aux injonctions corporelles. Pourtant, ils subissent aussi une pression immense : devoir être musclé mais pas trop, grand mais pas intimidant, mince mais pas frêle. Beaucoup développent des troubles alimentaires ou une dysmorphie musculaire, cachés derrière une façade de virilité imposée. Le body positive doit aussi être leur combat.
Idées reçues | Réalités |
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« Le body positive encourage l’obésité » | Il encourage la santé à toutes les tailles et le bien-être mental |
« C’est un mouvement de femmes » | Les hommes sont de plus en plus nombreux à rejoindre le mouvement |
« Il faut tout aimer de son corps » | Il s’agit de respect et d’acceptation, pas d’adoration |
« C’est une mode passagère » | C’est un changement profond de paradigme sociétal |
Les limites du mouvement et comment les dépasser
Le body positive n’est pas une solution magique. Certains jours, la vieille voix critique ressurgit, surtout face à des événements déclencheurs : essayage en boutique, photos de groupe, remarques malvenues. L’important n’est pas d’éradiquer ces pensées, mais d’apprendre à ne plus leur donner le pouvoir de définir notre journée.
Quand je sens monter cette vague d’autocritique, j’utilise une technique simple : je parle à mon corps comme je parlerais à une amie. Si cette amie se plaignait de ses cuisses, je ne lui dirais pas « Effectivement, tu devrais faire quelque chose ». Je lui dirais « Tes cuisses te portent chaque jour, te permettent de danser, de marcher, de vivre. Elles sont parfaites comme elles sont ». Pourquoi ne me traiterais-je pas avec la même bienveillance ?
Ce chemin vers l’acceptation est jonché d’avancées et de reculs, comme toute relation compliquée qui mérite d’être apaisée. Certains jours sont plus faciles que d’autres, mais globalement, la tendance est au mieux-être. Et ça, ça n’a pas de prix.
De la haine de soi à l’indifférence bienveillante
Le plus grand changement, finalement, n’a pas été de passer de la haine à l’amour, mais à l’indifférence bienveillante. Mon corps est devenu… mon corps. Un véhicule fidèle qui me permet de vivre des expériences, de sentir le soleil sur ma peau, de serrer mes proches dans mes bras. Je ne passe plus des heures à analyser chaque défaut présumé, pas plus que je ne passe des heures à admirer mes qualités. Simplement, je suis.
Cette libération mentale a eu des répercussions insoupçonnées sur tous les aspects de ma vie. Moins obsédée par mon apparence, j’ai pu développer une confiance en moi qui dépasse le physique. J’ai osé postuler à des emplois qui me faisaient rêver, prendre la parole en public, affirmer mes opinions sans craindre le jugement. En faisant la paix avec mon corps, j’ai fait la paix avec moi-même tout entière.
Et maintenant ? La vie après la haine de soi
Aujourd’hui, quand je croise mon reflet, je souris parfois. Non pas parce que je me trouve belle selon les standards du moment, mais parce que je me reconnais. Ce visage, ce corps, c’est celui qui a vécu toutes ces années, porté toutes ces émotions, surmonté toutes ces épreuves. Il mérite le respect, pas pour ce qu’il représente esthétiquement, mais pour tout ce qu’il a traversé.
Le body positive n’est pas une destination, mais un chemin. Certains jours, je trébuche. Je surprends une pensée critique, je compare mon reflet à celui d’une inconnue dans la rue. Mais maintenant, j’ai les outils pour désamorcer ces mécanismes. Je sais que mon valeur ne se mesure pas à un tour de taille ou à un poids sur la balance. Elle se mesure à ma capacité à être bienveillante avec moi-même et avec les autres.
Si vous aussi vous vous reconnaissez dans ce combat contre votre propre reflet, sachez que rien n’est figé. La relation avec son corps évolue, se transforme, s’apaise. Comme je l’ai écrit dans ma confession sur le perfectionnisme, lâcher prise n’est pas un échec, mais une victoire. Votre corps n’attend pas que vous le transformiez pour être aimé. Il attend simplement que vous arrêtiez de lui faire la guerre.